Vendredi 23 septembre

Quel sentiment étrange de se retrouver parmi la civilisation après tant de temps passé dans un désert minéral et englacé. Manevaï est fermement accosté au ponton du Small Boat Harbor de Nome et reste immobile. L’eau potable est accessible via un tuyau d’un diamètre aux standards d’usage (souvenez-vous de notre expérience au Groënland…) Des bennes de poubelles sont également à disposition. Tout paraît plus simple, plus ordonné, plus organisé. On l’avait oublié.

Nome est une petite ville de 3000 habitants, établie au début du 20ème siècle et dont la majeure partie de l’économie repose sur la pêche et l’activité aurifère. De nombreux Américains viennent du continent y passer la saison dans l’espoir de s’enrichir. Ils embarquent sur des petites « pénichettes » armées de pompes qui aspirent les fonds marins. Le contenu est ensuite versé sur un tapis surmonté de plusieurs tamis. L’or, le vrai, se distingue bien par son éclat constant quelle que soit la nature des fonds et de la couleur de l’eau (souvent boueuse). La « fool’s gold » (l’or des idiots) paraît plus terreuse malgré sa lueur dorée. Les pépites d’or sont très convoitées car ces pièces uniques servent à parer des pendentifs et on en obtient un meilleur prix, m’explique Allen, un mineur/plongeur venu de Floride. Plusieurs boutiques dans le bourg affichent la pancarte « We buy gold ». Un hôtel/bar/restaurant se dénomme d’ailleurs le « Nugget Inn » (pas les nuggets du McDo, ceux-là sont plus comestibles que les « pépites »). Toute la ville s’est construite et s’est agrandie autour de ce métal précieux. Et de l’alcool aussi… Des « Liquor Stores » (« magasins de spiritueux ») parsèment le centre au même nombre que l’on trouve des troquets dans le 11ème à Paris. Mon foie me dicte d’en visiter quelques uns afin d’acquérir le meilleur Gin au meilleur prix (je ne suis pas très whisky, poison de prédilection à bord de Manevaï). Je repère le « Bombay » qui me cligne de l’œil depuis son étagère. Je craque. L’apéro sera vite décidé ce soir (le 08/09, jour de notre arrivée). Je précise que les apéros nourrissent ma frustration depuis quelques semaines à tel point que je suis passée aux sodas pour m’économiser une prise de décision mais aussi l’alcool du bord…

A Nome, tout arrive par avion ou par barge (pour les produits les plus volumineux comme les quads, machines à laver). Les prix sont abusivement chers et tapent dans les mêmes rangs que ceux du Nunavut… on prendra le minimum en attendant notre arrivée à Dutch Harbour. Manevaï profite enfin des petits plaisirs terrestres : restau bien mérité, test des bars, séances de billard… on se prélasse sous le soleil alaskien et au grand air montagnard. On verra nos premiers arbres ici. Une lessive de taille industrielle sera également de la partie et parce que rien ne se fait de manière conventionnelle depuis notre départ de Brest ; nos slips, T-shirts et draps seront lavés et (pas tout à fait) séchés dans un centre senior… je n’avais même pas le droit d’y rentrer (encore heureux, vu mon âge avancé). Horaires restreints du centre obligent (on couche les occupants tôt, n’est ce pas ?), les vêtements finiront de sécher sur le pont et dans la « buanderie » de Philippe. C’était comme si nous étions accostés dans une rue étroite de Naples un petit moment…

Mardi 13/09, il est temps de repartir avec des passeports tamponnés du « Customs and Border Patrol ». Nous ferons nos adieux à nos amis teutons de « Breakpoint » Tom et Tati, qui avaient encore à faire avant de repiquer, comme nous, vers le sud.

« There’s no place like Nome ».

Les vents de secteur nord nous propulsent vers Dutch Harbour dans la mer tumultueuse de Bering. Dutch Harbour est à quelques 650 nautiques encore. On tangonne et détangonne au rythme des rafales. L’eau de mer se réchauffe et frôle les 12°C. On ne tardera pas à remettre le « frigo d’hiver » en service. Nos repas sont ponctués de galipettes alimentaires ainsi que d’une certaine gymnastique dans les coups de roulis. Mais on s’en fout un peu car on trace à plus de 7 nœuds sur le fond et ça, c’est bon.

Manevaï découvrira les sommets abruptes et verdoyants de l’île volcanique d’Unalaska le samedi 17/09 dans la matinée, sous un soleil délicieux. Des nappes de brouillard viennent envelopper les flancs et les sommets de temps en temps. L’atmosphère est mystérieuse, voire féérique. Le conte de fée s’achève lorsque l’on pénètre plus loin dans le port, avec ses infrastructures, ses grues, ses bateaux et casiers. Dutch Harbor est le premier port de pêche des Etats-Unis en tonnage. Des centaines de vaisseaux de pêche viennent d’Extrême Orient pêcher du flétan, crabe royal, cabillaud… En arpentant les environs, on remarque que certains pêcheurs n’ont pas les traits Inuit. Ils viennent du Japon, des Philippines. Dutch Harbour emploie aussi des observateurs marins car cette partie des Aléoutiennes se situe dans un parc protégé, mais aussi de la main d’œuvre pétrolière ainsi que pour tous les services ancillaires à la pêche (réfrigération, traitement, assurance). Toute cette population hante les bars et raconte leurs histoires autour d’une pinte d’APA (Alaska Pale Ale, excellente). Même des congolais ! Les ship chandlers proposent plus de matos pour la pêche que pour les plaisanciers et abritent même des « Liquor Stores ». Deuxième round pour les spiritueux du bord.

Mardi 20/09, on largue les amarres du ponton moderne (refait en 2015) en route vers de nouvelles aventures. On attend de l’ouest 15 nœuds mais c’est un vent changeant et faiblard qui nous accompagne. Le quartier maître Perkins sera remis en service pour la nav’ et pour la première fois depuis au moins deux semaines (ne comptant pas, bien sûr, les manœuvres d’arrivée et de départ aux escales). On déroule. On enroule. On tangonne. On détangonne. Manevaï franchira le Pacifique pour la première fois. On marche sous voiles seules ou avec l’appui du quartier maître Perkins le long des îles escarpées aux sommets parfois enneigés… Jusqu’à notre arrivée spectaculaire avec un comité d’accueil chaleureux à Captain Harbor entre l’île d’Unimak et la Péninsule d’Alaska. Les souffles d’un troupeau de baleines jaillissent de la surface sur notre tribord mais les bestioles sont loin. La cadence des souffles s’accélère jusqu’à ce qu’elles plongent les unes après les autres. Un quart d’heure plus tard, des souffles réapparaissent mais sur l’avant, puis au loin, puis partout. Au moins sept troupeaux à des distances et angles différents surgissent des profondeurs et se manifestent. Nous en verrons dans notre gisement 60° à deux reprises et à à peine 100 m de la coque. Le premier lot de deux plonge. Magnifique. Puis, ce sont trois qui plongent en même temps brandissant leurs queues quelques secondes comme si elles faisaient partie d’un spectacle de natation synchronisée. J’applaudis cette scène digne d’un parc aquatique. On nous avait prévenu que les eaux alaskiennes étaient riches en faune mais nous n’imaginions pas à ce point. Il faut dire qu’une certaine baisse d’enthousiasme s’est manifestée à bord de Manevaï vis-à-vis des mammifères car nous nous sommes tous difficilement remis de notre manque d’ours polaires. Ici au moins ça rattrape un peu le coup. On mouillera sur fonds boueux à 7m le 21/09 vers 22h.

La valse des mammifères continuera le lendemain lors d’une pêche miraculeuse de trois morues. Deux d’entre elles finiront en aïoli, l’autre repose en paix au frigo. Anne et moi sommes parties en annexe trouver un spot dans le chenal où il est possible de débarquer pour faire un petit tour à terre. La zone est réputée pour les grizzlis. On s’arme. Après un plein d’essence (oui, car nous sommes tombées en rade, n’est ce pas ?) On beache l’annexe sur un petit bout de plage riquiqui surmonté de roseaux et encerclé par de vastes étendues montagneuses. A peine 400m parcouru qu’on tombe sur de belles traces de pas (d’ours)… Fraîches ou pas, on fait quand même demi-tour (si vous aviez vu leur taille, vous comprendriez pourquoi). On se contentera d’admirer deux phoques qui jouaient au bout du rivage ainsi que des souffles de baleines plus au sud dans la baie. On les reverra certainement le lendemain (le 23/09) lors de notre départ. Deux phoques bronzaient tranquillement au soleil sans se soucier de notre présence.

Les baleines sont aussi venues nous faire leurs adieux. Et quels adieux !! Quelques unes se sont glissées à une cinquantaine de mètres de notre coque. Le son de leur souffle fut tellement net qu’elles nous envoyaient presque leurs embruns. Mythique. Manevaï continue son chemin sous GV et Génois tangonné en direction de Kodiak.

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