Mardi 30 août 2016

Nous nous sommes quittés lors de notre mouillage matinal à Bernard Harbour le vendredi 19 août 2016. Il est 21h45 le lundi 29 août 2016 et nous avons mouillés à nouveau pour arriver à bon port dans le Pauline Cove de Herschel Island (finalement et littéralement). Tout le monde dort à présent. Le vent nous a joué des tours et virevolta de 180° la nuit dernière pour forcir jusqu’au coup de vent. Des rafales frôlant les 40 nœuds viennent fouetter le gréement, la houle nous avale et nous recrache comme si nous étions une coque de noix dans un torrent rapide malgré les 15 tonnes du majestueux Manevaï. Sa coque calorifugée nous aura bien gardés au chaud car les températures extérieures ont chuté de plus de 10°C depuis notre départ de Bernard Harbour. Un changement drastique peut-être mais un flagrant clin d’œil à notre traversée de l’Atlantique et admettre l’évidence que la géographie immense de ce coin du monde n’a pas terminé de nous faire des caprices. Les glaçons sont à plus de 40 nautiques des côtes et rafraîchissent la température de l’eau de mer avoisinant les 6°C. Nous sommes en haut de notre sphère bleue, au Nord du Cercle Arctique où règnent des étendues de terre gigantesques et grandioses à la fois puis morcelées de l’autre, comme cette petite île qu’est Herschel Island. Pauline Cove abrite une station Rangers canadienne, saluée à la VHF par Eric en fin d’après-midi.

Lorsque nous avons retrouvé le mouillage dans la nuit du 21 au 22 août à Pearce Point Harbour, nous étions servis en termes de morcèlement des terres. Des petits îlots, des icebergs minéraux coiffés de timide verdure sont repartis dans ces deux petites zones de terre remplies de bleu. Des goélands américains (le Schwarzenegger du pigeon des mers, ils sont « huge ») surveillent la zone et viennent rôder autour du bateau, essayer de nous lâcher des petits cadeaux sur le pont …

Le paysage est canyonneux (je crois qu’un canadien francophone accepterait l’emploi de ce terme). Les rivages de sables fin surmontés par un champ de roseaux qui me rappellent drôlement la Bretagne et la presqu’île lointaine laissent entrevoir des lacs et des terrains marécageux encerclés par des sommets. Des rivières de copeaux de cailloux dégringolent leurs pentes douces et la roche est très friable. Les Gentlemen partent à la recherche du « Char » perdu et les Ladies, admirer la vue magnifique sur les promontoires ensoleillés de Pearce Point Harbour. Il fait 16°C, jusqu’au soir vers 00h00 lorsque nous sommes rentrés de « Breakpoint » après avoir été invités par Tom, Tati et Rudy pour prendre le dessert. Pas de « char » ici ; Eric et Philippe ont fait face à une rude concurrence mammifère : un phoque énorme se relaxait sur les bords de la rivière… Ceci explique cela. Nous repartirons le lendemain (le 23/08) de Pearce Point Harbour après dîner en direction de Tuktoyaktuk. « Breakpoint » préfère passer une nuit tranquille de plus avant de mettre les voiles vers notre dernière escale civilisée canadienne. Les vents sont faibles mais la houle ne s’est pas encore calmée.

On passera le Cape Parry tôt le matin suivant pendant mon quart avec un lever de soleil d’une beauté extrême. Les stratus du ciel sont illuminés d’un rose pétant, couleur « stabilo ». Nous effectuons notre dixième station plancton l’après-midi du 24/08 et regagnons les « Smoking Hills » (collines fumantes) du Cape Bathurst vers les 18h30 et passerons le cap en début de soirée. Le vent est portant et Manevaï « ride » les vagues qui nous font défiler à plus de 7.5 nœuds sur le fond. Ce sera le cas jusqu’au lendemain matin (le 25) avant que le vent ne tombe. Le quartier maître Perkins fonctionnera jusqu’à midi puis ce sont les voiles qui prennent le soleil avec l’équipage en profitant aussi sur le pont. Les fonds sont faibles dans la zone (à peine 8 m) ce qui rend l’eau sinistrement boueuse et sablonneuse et réveille les souvenirs de nav’ dans le Nord-Pas-de-Calais pour Philippe.

Nous sommes officiellement rentrés dans les Northern Territories du continent canadien et ses côtes sont plates, ornées de quelques « Pingos » les surplombant de temps à autres. Nous arriverons à Tuktoyaktuk le 25/08 vers 21h30 presque sous voile jusqu’au mouillage. Un long chenal étonnamment bien balisé (nous avions perdu l’habitude d’en voir …) nous ouvre l’entrée de la « Eastern Entrance ». Le sondeur ne monte guère au-dessus de 4.5 m et nous serrons un peu les fesses avant de jeter la pioche. La manœuvre se déroule à merveille et nous arrosons notre arrivée avec un Ti Punch, mouillés à côté de nos amis Autrichiens de « Nomad ». « Breakpoint » arrivera vers 2h00 du matin. Dîner & dodo pour nous.

Le 26 août, Manevaï se prête à la besogne habituelle de chaque escale et a fait preuve d’efficacité. En une matinée, l’avitaillement en frais a été acheté et les caisses de gazole remplies mais il nous faut encore de l’eau. Elle sera livrée par camion le lendemain à 18h mais devra être faite par jerrycans. Ca tombe bien parce qu’il nous en faut plus de 500 litres si l’on veut tenir confortablement jusqu’à Nome (notre première escale Américaine, après Béring). Nomad profitera aussi de la venue du camion pour son remplissage en H2O. Nous inviterons les équipiers de « Breakpoint » et de « Nomad » prendre une part de gâteau au chocolat (cramé à souhait, une sorte de « chocolate crumble », la honte) le 26 au soir. Rudy et Andy, des amis de longue date de Wolfy et Doris, les propriétaires de Nomad retournent le lendemain matin à Vienne. Doris et Wolfy doivent encore ramener l’OVNI 41 dans le Mackenzie River pour son hivernage à Inuvik. « Breakpoint » est pris par le temps pour que Rudy soit à Prudhoe Bay avant la fin du mois car il a à faire en Allemagne. 11 personnes souriantes, les yeux pétillants de souvenirs et d’expériences fortes grignotent les miettes du crumble et boivent le rouge généreusement servi. On s’enlace tous pour les adieux vers 23h30. Le lendemain sera une longue journée.

Vint le 27, l’annexe de « Nomad » se remplit de bagages vers 09h00. Rudy et Andy débarquent suivis de Wolfgang et Doris. Un SUV vient les récupérer une demie-heure plus tard pour les emmener à l’aérodrome. Lorsque Manevaï débarque à son tour à terre, on croise l’équipage restant de « Nomad » qui nous raconte l’embarquement à l’arrache de Rudy et Andy. Un avion pour trois passagers, chargement personnel des bagages … Le pilote avait même presque oublié d’ôter les câles de ses trains … Philippe en rit toujours. Une autre scène kafkaesque se déroule sous nos yeux déjà quelque peu ébahis par cette histoire. Un quad se présente en haut de la rampe qui mène jusqu’au ponton de fortune (fabriqué avec des bidons) pour embarquer dans une prame en acier. Il manœuvre bien jusqu’au moment où le quad tente de monter les planches. Et là, c’est le drame, les roues avant
embarquent mais pas celles de l’arrière. Je capture ce moment mémorable avec la caméra du téléphone (à suivre sur la page Facebook ;)). Philippe pose la question fatidique « Et comment il fait pour débarquer après ? » On éclate tous de rire et on applaudit la manœuvre… La livraison en eau fut une belle expérience bien sympathique et en bonne compagnie. On s’amuse bien à faire les allers-retours aves les 3 jerrycans bleus de 20 litres chacun (surtout pour le remplissage de la caisse à eau sur l’autre bord du bateau). On dînera rapidement car nous sommes invités sur « Nomad » pour finir leurs stocks de vin. Nos panses rassasiées et nos biceps réchauffés, on débarque aux retrouvailles de Wolfy et Doris. Ce sont les auteurs du livre « Frei wie der Wind », leur récit de voyage des deux tours du monde effectués depuis 1989. Leurs histoires et témoignages font rêver et nous rendre compte quelle chance nous avons de pouvoir voguer à souhait, libre comme le vent (comme le titre de leur bouquin).

Justement, le vent portant nous sortira par la « Western Entrance », la plus « yihaaaa » de toutes, avec 2.90 m de fonds corrigés. Nous voilà donc à Herschel Island arrivés hier, (le 29/08) vers 16h30 après une fin de navigation rock n’roll. Tout le monde s’est écroulé vers 21h30, au moment où j’ai commencé à taper au clavier (ça faisait longtemps et ça fait du bien quand ça vient). J’ai continué ce matin (le 30/08 donc) lors de la balade à terre du reste de l’équipage. Il est 19h40 à présent et nous rentrons d’une rando à travers plaines et vallées verdoyantes accompagnés d‘un guide Rangers dénommé Edward et de sa petite fille de 7 ans, Gabrielle. Ils nous ont montré des excréments de bœuf musqué, de grizzly, des parcelles de terrain labourées par les grizzlys en recherche de lemmings, de la rhubarbe sauvage et … une des dernières « permafrost ice houses » qui sert de congélateur naturel pour le campement des Rangers de l’île. Impressionnant. Nos yeux boivent une telle beauté sauvage et intacte à chaque escale qu’on croirait presque pleurer de l’alcool … Ce n’est que le vent est qui nous pique les yeux. Il nous emmènera en Alaska très prochainement.

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