Attu. Du 19 au 25 juin. Casco Cove, Massacre Bay. Première escale pour tous les voiliers, nous sommes au point le plus occidental des États-Unis, superficie de 1792 km2, (Ile de la Guadeloupe 1628 km2).
Nous y sommes donc arrivés aux aurores le 19 au matin sous voiles réduites.
Le 19 au soir, il fait encore jour, nous tentons d’échouer Manevaï. Il faut se débarrasser de cette étole. Mais l’opération beaching est un fiasco, trop de vent travers, Manevaï glisse sur la plage.
Le 20 au matin, Éric décide une plongée sous la coque. Il revêt sa tenue d’ homme grenouille. Miracle, 3 minutes après, il ressort triomphant, l’étole est dégagée de l’arbre d’hélice simplement en inversant le sens du tour. La température de l’eau est de 7°C. 12 mètres de scotchbtrite sont ramenés sur le pont. Ben de Kuoka passe nous voir pour admirer le travail.
21 juin, balade à terre. Il reste deux pistes d’atterrissage qui servent sans doute à l‘armée, même les peintures au sol résistent au rude climat.
Les bâtiments tiennent encore, les derniers occupants furent les Coast-guards responsables de la station LORAN.
Nous sommes 8 voiliers dans la baie qui profitons du calme après 10 jours de traversée, 13 jours pour certains…
Un ravitaillement en eau pour nous au creek qui débouche sur la plage, pas de crainte d’ours en amont.
Nous changeons de mouillage dans la même baie de Casco pour nous abriter du vent de sud attendu le lendemain. Harmattana arrive enfin mais ne profitera pas de cette somptueuse baie car le vent du sud apporte aussi de la pluie et les équipages restent calfeutrés à bord. Le soir, une éclaircie nous permet d’aller féliciter les derniers arrivés en leur offrant du « salame de chocolate ».
Aux yeux des stratèges militaires japonais, la chaîne des îles Aléoutiennes représentait un pont entre les États-Unis et la Russie. Il fallait éviter que ces deux grandes puissances ne s’allient. Trois îles furent bombardées ou occupées six mois après Pearl Harbor: Dutch Harbor à l’est, les îles de Kiska et d’Attu plus à l’ouest. A Attu, le village était encore habité.
La bataille pour reprendre Attu, qui a duré 20 jours, a connu un des pourcentages les plus élevés en pertes humaines de toute l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. En mai 1943, 15 000 Américains se sont opposés à 2500 soldats japonais. Les Japonais avaient transformé l’île en une forteresse bien défendue avec des tranchées, des tunnels et des grottes. L’île est montagneuse, accidentée et couverte de marécages. Même au mois de mai, le climat est particulièrement dur et inhospitalier.
Au total, 29 combattants japonais ont survécu, aucun officier. Du côté américain : 1500 militaires ont été blessés et 550 soldats ont été tués au combat. Le climat difficile a contribué à la perte de 1200 hommes à ajouter aux combattants tués.
En 1987, le gouvernement américain accepte que son homologue japonais érige un monument sur Engineer Hill « en mémoire de tous ceux qui ont sacrifié leur vie, sur les îles et les mers du Pacifique Nord au cours de la seconde guerre mondiale et au nom d’une paix mondiale. » (Photo Army Times. The Associated Press.)
2010, la station LORAN cesse de fonctionner, il n’y a plus personne à Attu.
Départ d’Attu pour tous les voiliers.
Kiska Harbor. 26 juin. Éric veut pêcher la truite au Trout Lagoon. Nous mouillons en fin de journée pour une nuit près d’un ponton en ruine. Kuoka quitte au matin ce mouillage et est remplacé par Rewild, équipage avec deux enfants. L’annexe est mise à l’eau. Ok en route pour le Trout Lagoon, déception il n’y a pas beaucoup d’eau et pas l’ombre d’un poisson.
Après avoir envahi Attu les Japonais se sont emparés de Kiska où seule une équipe météorologique de 10 hommes était présente. La réponse américaine a été rapide… A présent, l’artillerie et les munitions reposent là où elles ont été abandonnées. Les carcasses des avions américains abattus lors de bombardements n’ont pas été déplacées. L’épave du Nozama touché par une bombe le 16 septembre 1942 a été échouée sur la plage devant Trout Lagoon. Une partie de la coque devait être acheminée pour récupérer la ferraille mais a coulé lors du convoyage, il ne reste que la section avant du Nozama, témoin rouillé et silencieux des combats. (Source pacificwrecks.com)
Finalement nous ne passerons pas une deuxième nuit à Kiska et dans l’après-midi nous reprenons notre chemin vers l’Est.
Bay of Islands. Adak Island. 27/29 juin. En fin de matinée le brouillard est encore bien présent. Le soleil n’est pas loin et les lambeaux de brume laissent la lumière éclairer l’eau par nappes. De temps en temps une trouée dans la brume nous permet d’apercevoir la côte ou un sommet enneigé. Emprunter le chenal n’est pas difficile, pas de courant et une assez bonne visibilité lorsque nous sommes plus proches. Nous aurions aimé poser l’ancre dans le trou de Trappers Cove mais nous savons qu’il y a déjà deux bateaux, Manaia et Torea, un troisième tiendrait mais c’est un abri environné de kelp, ces longues algues qui sont un piège pour les arbres d’hélice.
Nous choisissons une baie un peu plus éloignée, Unalga Bight, il y a une plage où nous pourrons échouer Manevaï. Dans l’après-midi nous passons dire bonjour à Manaia avec quelques gâteaux et faire connaissance du couple à bord de Torea.
La manœuvre d’échouage a lieu le lendemain matin. Nous avons pris nos repères la veille pour bien nous présenter. Il ne s’agit pas d’arriver sur la plage pile à marée haute, il faut y arriver alors que l’eau a commencé à descendre pour être certains de se déséchouer en fin de journée, les coefficients de marée diminuant. Il y a beaucoup de vent et Manevaï se pose un peu de travers sur le sable grossier. Des oiseaux, huitriers pies, des phalaropes à bec étroit viennent chercher leur pitance sous les cailloux. Un couple de coqs de bruyère aux cris étranges s’envole et va se cacher dans les herbes hautes.
Éric commence le grattage de la coque, vérifie le PSS, il en profite pour réviser le propulseur d’étrave. Tout est OK, restera à surveiller le réducteur. Pendant ce temps, je suis en cuisine pour deux pains. Tous les 3 jours nous faisons du pain, 600 gr de farine sont consommés à chaque fournée et pendant que le four monte en température je confectionne un gâteau. Le vent est de plus en plus fort et le déséchouage a lieu une heure plus tôt que prévu. Mais nous ne voulons pas rester dans cette baie et subir les rafales, il nous faut un autre abri. Éric en a un en tête mais avant la pointe qui masque le mouillage, nous apercevons un mât. Pas d’AIS. Le Garcia Haiyou se cache là, pas de place pour nous. Encore 30 minutes de recherche pour un fond de sable de 20 mètres maximum. Ce qui nous vaut le plaisir de revoir des loutres qui plongent très vite à notre approche.
Une nuit au calme et nous repartons pour Adak Town. Nous allons y retrouver Hoptoad qui est enfin arrivé à destination depuis Wakkanai.
Adak Harbour. Sweepers Cove. 30/01. Nous renouons avec les amarrages contre un mur, plus compliqué qu’au Japon d’ailleurs, car nous ne voulons pas toucher les piles noires. Sonny est là pour s’emparer de la première aussière, celle que nous appelons la cravate, aussière placée au milieu qui permet de stabiliser tout de suite le voilier lorsqu’elle est courte et bien tendue. Nous prenons notre temps pour déployer nos sept lignes, il faut calculer avec le marnage.
Margie nous annonce que l’épicerie devrait être ouverte demain de 17h30 à 19h. En fait l’épicerie n’ouvre plus, son générateur est en panne depuis 3 semaines.
La livraison de fuel prévue à 9 heures arrive à 8h, c’est un camion qui se déplace pour les bateaux. Prix du litre : 1,18€ le litre, ce qui est très cher pour l’Alaska. Nous devons régler la note dans l’après-midi.
Kuaka, Manaia et Torea seront livrés le même jour dans l’après-midi.
Nous partons en balade avec nos 4 sacs poubelles, pris en voiture par Dave le livreur de fuel qui opère un demi-tour pour nous. Sa journée est terminée, il joue gentiment au chauffeur pour les équipages. Il vit 15 jours à Adak et 15 jours chez lui près d‘Anchorage.
Nous découvrons la ville… des centaines de maisons abandonnées depuis le départ de l’US Navy en 1998. (8000 personnes étaient employées par la base et donc logées ici).
De loin ces lotissements sont proprets, mais en s’approchant, on se rend vite compte que la rouille grignote les parties métalliques, le vent a endommagé des pignons, il n’y a plus de revêtement, quelques fois un pan entier a été arraché comme si des vandales s’étaient acharnés dessus pour le plaisir.
A l’Hôtel de Ville où nous nous faisons connaître, nous bavardons avec Jana la secrétaire de mairie. 30 personnes autochtones sont recensées. Nous avons quand même pu compter plus de 30 voitures et pensons qu’elles appartiennent aux entreprises pour lesquelles les « continentaux » viennent travailler par période comme Dave.
Il n’y a plus d’enfants à Adak, le dernier adolescent a 15 ans et étudie ailleurs.
Tous ces lotissements datent de la présence de l’US Navy.
Ils ont été rachetés par une société de chasse et pêche « Aleutian’s summer Headquarters for the Fisheries and Wildlife », qui a priori ne peut pas tout entretenir. Car ici on chasse le Caribou !
La Taverne et le Liquor Store.
La vie à Adak tourne autour de l’aéroport, ancien aéroport militaire. Ce n’est pas son activité qui justifie son maintien, deux avions par semaine météo permettant, mais son positionnement stratégique pour la logistique de Chemya, près d’Attu, où les USA maintiennent une base militaire active.
Mais mais mais… Pour occuper son temps libre et si l’on a l’âme aventureuse, il y a ce fameux Trésor d’Adak : en 1892, un pirate nommé Gregory Dwargstof aurait enterré plus de 300 millions de dollars en pièces d’or dans 150 boîtes de conserve sur cette île. Depuis seules deux boîtes auraient été retrouvées.
02 juillet. Atka, Bechevin bay. 10 heures de navigation.
Compliquée cette navigation, le vent passe de 4 nœuds à 42 nœuds, Éric doit ajuster sans arrêt mais pour s’aider, il observe la vitesse de Kuaka devant nous. Dans la baie de Bechevin, il y a encore 25 nœuds presque dans l’axe et nous craignons de ne pas trouver un havre de paix. Haiyou et Kuaka sont déjà mouillés, il y a de la place pour nous qui arrivons suivis de Manaia et Hoptoad. Kuaka descend à terre tout de suite, un renard est très intéressé par leur dinghy et tourne autour.
Vidéo de Ben de Kuaka.
Ici le Must est un bombardier B-24 de la seconde guerre mondiale.
Nous nous décidons d’y aller le lendemain matin avec Hoptoad et Manaia.
Impressionnant ! Le bombardier est là, un peu endommagé quand même, il a perdu sa queue, ses trains d’atterrissage sont derrière lui. Il n’y a que des traces d’usure et quand même de l’impact à l’arrivée au sol. Pas de morts, pas de blessés graves, une clavicule cassée pour le général transporté. Quelques impacts de balles entrées d’un côté et ressorties de l’autre, peut-être pour déloger un caribou ?
Le 9 décembre 1942, un B-24 Liberator est en détresse alors que les combats font rage lors de la campagne des Aléoutiennes. Cet avion est utilisé comme avion d’observation météorologique, une donnée essentielle dans les Aléoutiennes. L’avion a atteint Attu, il a survolé Hotz Bay mais de retour il ne distingue même plus les deux pistes de la base d’Adak, son point de départ, totalement saturées de neige et de pluie. A court de carburant il lui faut se poser et il va choisir une plaine recouverte de neige située plus au nord. Le pilote se présente … pose l’appareil qui ne se retourne pas !
Les membres d’équipage, le colonel et le général vont passer une nuit un peu fraiche puis un hydravion leur envoie des vivres et un canot pneumatique pour servir d’abri de fortune. Le 11 décembre ils sont récupérés par le destroyer USS Gillis. L’avion, lui, est laissé sur place symbole d’un miracle. Il est à présent Monument National des îles Aléoutiennes de la seconde guerre mondiale. (nps.gov, Discovery & Wikimilitary)
Nous appareillons tous en fin de matinée pour profiter du peu de vent que la météo nous prévoit pour les 24 prochaines heures.
04 juillet, en mer, nous envoyons un WhatsApp à tous nos amis américains pour l’Independence Day. Dommage nous aurions aimé être à terre pour admirer la Parade !
3, 4, 5, en mer. Il fait gris, toujours pas de baleine. On cherche le vent et le moteur tourne depuis 24 heures, chauffage à volonté. Éric bricole, répare, entretient, je brode en regardant des vidéos et j’écris.
6 juillet, arrivés à Dutch Harbour sur l’île d’Unalaska. La boucle est bouclée pour Manevaï et Éric. En 2016, Manevaï s’arrêtait ici après le passage du Nord-Ouest, 2025 il est revenu au ponton après un long voyage de découvertes dans le Pacifique.
Le skipper me réveille une demi-heure avant le chenalage. Nous avons trainé en route pour profiter pleinement de l’arrivée. Tout est prêt sur le pont, aussières et défenses, je n’ai qu’à admirer le paysage. Il est 7 heures, l’aube est installée, le plan d’eau est calme, les lumières des lampadaires et des bateaux de travail se reflètent dans l’eau et les loutres paressent doucement à la surface. Il fait frais et sec.
Les montagnes sont très vertes et blanches de neige par endroits. La marina est petite, un seul ponton, super protégée.
Tous les équipages des voiliers au ponton dorment, nous nous amarrons sans problème et sans bruit et attendons Manaia qui pointe son étrave 45 minutes après nous.
Les formalités sont vite expédiées grâce à George qui annule le refus que nous avions essuyé après avoir rempli notre demande en ligne. Nous sommes acceptés aux States !
Trois jours à quai, le temps de faire la connaissance de Miri et Harry à bord de Rantje qui s’apprêtent à affronter le passage du NW dans le sens Ouest-Est. Une soirée au Harbour View, une soirée au Grand Aleoutian Hotel (crabe royal à volonté), un déjeuner au Norvegian Rat Saloon (une institution ici ), nous avons du mal à nous quitter et multiplions les occasions d’être ensemble.
Les deux musées de Dutch, l’un consacré aux Natives, l’autre à la Seconde Guerre mondiale.
Des courses au Safeway et au Fishery Supply. Une sortie en taxi pour voir Unalaska et sa cathédrale orthodoxe, fermée.
La cathédrale d’Unalaska.
Un tour au Liquor store, nous avons des cadeaux à faire, l’adorable gérante Beth est éthiopienne. Au Safeway les vendeuses sont philippines. Dans le mall, Fatima est mauritanienne, les chauffeuses de taxi sont thaïes ou philippines. Alaska terre d’immigration ! A Dutch, il y a du travail, bien rémunéré et pas de tentation pour le dépenser.
Dans le Mall, la caverne d’Ali Baba de Jango Jim’s.
Les aigles très nombreux et bien nourris par les déchets de l’usine de transformation de poissons apprécient nos mâts comme perchoirs et crottoirs. Nous les entendons la nuit heurter nos haubans. Au réveil, c’est avec le jet d’eau que nous nettoyons leurs déjections.
Dutch Harbor : Avant l’arrivée des Russes en Alaska, l’île de Unalaska est habitée par le peuple Unangan. La terre appartient aux corporations de Natives.
Les chasseurs russes de fourrure de phoques et de loutres débarquent en 1759 établissant des comptoirs et forçant la population à travailler pour eux.
La compagnie russo-américaine cesse ses activités au milieu du XIX mais le port de DH continue son activité grâce aux chercheurs d’or qui transitent vers Nome. Sa situation à l’intérieur de la baie de Unalaska en fait un abri sûr et stratégique.
Le port devient une base militaire pendant la seconde guerre mondiale subissant un bombardement japonais en 1942. 10 000 marins et 9900 soldats étaient cantonnés ici.
Aujourd’hui, c’est un port de pêche majeur et un lieu d’activités touristiques.
Dutch Harbor est proche de certaines zones de pêche les plus riches du monde et est toujours libre de glace. C’est le premier port de pêche des États-Unis en termes de volume, 278 000 tonnes de poissons débarqués en 2022. (Boulogne : 30 400 tonnes en 2023. Dunkerque : 785 tonnes. Marseille : 18 000 tonnes)
Samsara, le yacht de JK Rowling vient mouiller dans la baie.
10 juillet. Nous allons quitter Dutch Harbor. Pour être en phase avec le courant dans les passes, après quelques calculs, c’est vers 17h qu’il faut partir. Nous avons besoin de gazole à 3 nautiques de là et les employés de la pompe ont accepté de nous attendre. Le gazole n’est plus qu’à 0.97€ le litre.
Ici nous n’avons rencontré que des personnes aimables, toujours un peu étonnées de la vie que nous menons, prêtes à rendre service et bien sûr toujours avec le sourire.
En route vers Kodiak.
Nous avons choisi l’Unalga Pass pour quitter la mer de Béring et retrouver l’océan Pacifique avant la nuit. Nous y sommes un peu trop tôt mais oh surprise le courant (qui peut atteindre huit nœuds à cet endroit) est déjà plus ou moins avec nous. Décidément les modèles de courants (Copernicus et Harmonique) ne sont pas au point. Nous suivons donc la ligne des volcans par le sud en espérant retrouver du vent, d’après les prévisions ce sera peut-être pour ce soir, il y a un peu de houle. Peut-être aujourd’hui reverrons nous enfin des baleines ? Manaia a choisi l’autre passe et va bientôt rejoindre notre route.
Je reçois un WhatsApp avec photo, c’est Sonny le roi ! Trop contente de trouver enfin de la pâte feuilletée, j’avais confectionné une galette des rois avec comme fève un petit poisson doré. Et c’est Hoptoad le dernier servi qui a été l’élu !
Nous sommes à présent en Alaska « continental », nous avons quitté les 57 îles Aléoutiennes.
Si vous avez envie de nous suivre, vous pouvez charger sur vos téléphones l’application NoForeignLand, nous mettons notre position à jour toutes les 12 heures.
www.manevai.fr